Critique Happy Apocalyspe

Happy Apocalypse ou l’humanité en mutation joyeuse

Jean-Christophe Dollé et la Compagnie F.O.U.I.C bousculent les catégories avec Happy Apocalypse, une fable futuriste aussi lyrique que délirante. Perle, la première enfant hybride croisée avec un varan de Komodo, est l’incarnation troublante d’un monde qui refuse la fin de l’espèce en préférant la transformation. Dans celui-ci, l’apocalypse n’est pas un effondrement, mais un laboratoire poétique où se recomposent les corps, les pensées, les espèces.

On y célèbre la désobéissance aux normes, l’hybridation joyeuse, et surtout, la possibilité d’un monde vivant. Pas parfait, mais vibrant. La démarche ne se veut pas utopique mais plutôt protopique. Happy Apocalypse affirme que la faiblesse est une force, que le chaos peut être fertile, que le théâtre est encore et toujours un lieu de métamorphose.

Sur scène, tout vibre, tout mute. La scénographie est un organisme à part entière, peuplé de figures humaines et animales qui semblent échappées d’un rêve ou d’un mythe parallèle. Hommes et femmes à têtes de bœuf, de chouette ou de coq parlent, dansent, côtoient des humains dans un univers qui ne cesse de se transformer. Les espaces compartimentés, faits de niches mouvantes, se transforment horizontalement, comme verticalement. La machinerie étonnante (Simon Demeslay) s’accompagne  de lumières soignées.

Un manifeste vivant

Trois musiciens sur le plateau font résonner en direct une bande-son, traversée de pulsations électro-pop, totalement envoutante. La musique, créée par Jean-Christophe Dollé, Noé Dollé, Laurent Guillet et Georges Hubert, constitue un élément majeur du spectacle. Elle colore les scènes d’une palette douce et énergique propre à la rêverie et à la joie.

La mise en scène de Clotilde Morgiève et Jean-Christophe Dollé est un acte de résistance contre l’aseptisation de l’imaginaire : elle ose le burlesque, l’excès, la beauté étrange. Le personnage de Michael Crawling (Jean-Christophe Dollé), astrophysicien en fauteuil roulant, appareillé pour parler, offre au récit sa métaphore centrale. La fragilité comme une force, la différence comme une richesse, le désespoir comme un pulsion de vie. Celui interprété par Yann De Monterno possède un charme fou. Décalé, drôle, délicat, touchant, le comédien fait mouche (à défaut de pouvoir dire papillon), à chaque fois. 

Happy Apocalypse se vit comme un manifeste vivant. Il pulvérise les genres, théâtre, concert, conte philosophique, performance, pour mieux nous rappeler que le vivant ne se classe pas, ne se contrôle pas, ne se programme pas. Dans cette fête tragique et carnavalesque, où l’on rit en pensant à notre propre extinction, se cache une urgence. il s’agit de réinventer notre humanité. La dernière image, qu’on ne dévoilera pas, ravit.

Loin des dystopies sans espoir, avec Happy Apocalyspe, Jean-Christophe Dollé et sa troupe fabriquent un espace de désir, d’altérité, et de rêve. Dans cette faille lumineuse, ils réaffirment l’énergie indomptable de l’art.

Les LM de M La Scène : LMMMMM