Critique Absalon, Absalon !

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Absalon, Absalon !
© Alexandre Akye

 Séverine Chavrier s’empare à nouveau de l’univers de Faulkner et en restitue la brutalité et le foisonnement. Absalon, Absalon ! frappe par son intensité et la richesse de ses propositions visuelles, porté par une maestria indéniable, malgré quelques longueurs.

Autant en emporte la fureur

Jusqu’où peut mener une humiliation d’enfance ? Peut-elle façonner un destin au point de devenir une obsession destructrice ? Dans le roman foisonnant, Absalon, Absalon ! de William Faulkner, publié en 1936, une scène semble fondatrice pour comprendre le personnage de Thomas Sutpen et son obsession démesurée de bâtir un empire. A quatorze ans, on lui refuse l’entrée de la maison d’un riche planteur. L’humiliation subie devient le moteur de son ambition. Au cœur de l’état du Mississippi et ses rigidités sociales et raciales, la porte fermée devient une métaphore de l’inaccessibilité du pouvoir et de la reconnaissance pour ceux qui n’appartiennent pas d’emblée à l’élite.

Désormais, le personnage ne souhaite que s’arracher à la condition de « poor white »  et s’imposer dans l’aristocratie sudiste. Il bâtit un empire, « Sutpen’s Hundred », une maison sur une gigantesque plantation, destinée à y accueillir sa future dynastie, de sang pur. Mais sa lignée se voit frappée par une malédiction, notamment à travers l’inceste potentiel entre Judith Sutpen et son demi-frère Charles Bon.

Faulkner déconstruit le rêve obsessionnel de Sutpen par des récits fragmentaires et contradictoires. Le roman oppressant révèle l’illusion et la violence qui sous-tendent cette quête d’ascension sociale jusqu’à la chute. Il met en lumière la brutalité des grands domaines qui se sont construits sur la spoliation des terres appartenant aux populations autochtones, puis sur l’esclavage. Fondé sur l’oppression, le vieux Sud est condamné à disparaître.

Une fresque visuelle et tragique

D’une durée de cinq heures, organisé en trois parties avec entractes, Absalon, Absalon ! mis en scène par Séverine Chavrier, frappe par son intensité et la richesse de ses propositions visuelles. Le spectacle s’ouvre sur un plateau recouvert de terre que des objets signifiants habitent déjà. Une maison de poupée, un cheval de bois, partagent l’espace avec la caisse d’un cercueil en bois et deux voitures dont on aperçoit l’avant de la carrosserie. L’enfance et la mort se côtoient déjà, tandis qu’en off, le chant des grillons et le coassement de crapauds se font entendre. Programmatique, la naissance et la chute  de « Sutpen’s Hundred » semblent déjà inscrites sur scène, comme dans une tragédie annoncée. 

Dès les premiers instants, la vidéo mène la danse. Les images prises en direct multiplient témoignages, personnages, espaces, temporalités. Dans Absalon, Absalon ! , l’image joue un rôle central. Elle structure l’espace et amplifie la narration. La demeure érigée sous les ordres de Sutpen devient un écran monumental où se projettent un flot d’images vertigineux. En noir et blanc, sépia, ou couleurs franches,  les captations en direct, les fragments enregistrés, les cadres fixes se superposent avec rapidité en une fresque hypnotique. Les vidéos de Quentin Vigier se mêlent aux prises de vue de Claire Willemann sur le plateau.

Puissance et débordement

Cette surcharge visuelle s’accompagne d’une richesse sonore saisissante. La partition des voix captées au micro s’enrichit des compositions de Simon d’Anselme de Puisaye et du chant d’Armel Malonga. Sa basse vibre entre deux envolées mélancoliques. La danse est également convoquée. L’expérience sensorielle plonge le spectateur dans un tourbillon d’émotions brutes. Mais l’excès, sur la longueur, crée parfois de la distance. La première partie éblouit. L’orchestration imaginée et menée par Séverine Chavrier fascine. Mais, la dernière partie, notamment, répétitive et trop bavarde, génère une certaine lassitude.

Cependant, sur la longueur, la troupe insuffle une ardeur constante, soutenant le spectacle avec ferveur. Laurent Papot, incarne à la fois le colonel Sutpen et Quentin Compson qui interroge l’histoire de la famille, sans y parvenir. De presque tous les tableaux, il impressionne par sa puissance à retranscrire la veulerie et la mégalomanie brutale de Sutpen. Daphné Biiga Nwanak campe elle aussi plusieurs personnages. Ceux-ci chevauchent de multiples temporalités, mais, à chaque fois son interprétation capte le regard.

A l’Odéon, Séverine Chavrier transpose avec puissance la démesure et la violence de Faulkner, offrant une fresque hypnotique où l’image et le son sculptent la tragédie. Malgré quelques longueurs, Absalon, Absalon ! captive par son ambition et sa mise en scène virtuose.

Les LM de M La Scène : LMMMMM

 


Absalon, Absalon ! 

Odéon 6e

26 mars – 11 avril

d’après le roman de William Faulkner
adaptation et mise en scène Séverine Chavrier

avec Pierre Artières-Glissant, Daphné Biiga Nwanak, Jérôme de Falloise, Adèle Joulin, Alban Guyon, Jimy Lapert – en alternance avec Deborah Rouach, Armel Malonga, Christèle Tual, Hendrickx Ntela, Ordinateur, Laurent Papot et la participation de Maric Barbereau – en alternance avec Remo Longo

traduction René-Noël Raimbault.
révisée par François Pitavy.
scénographie, accessoires Louise Sari
son Simon d’Anselme de PuisayeSéverine Chavrier.
lumière Germain Fourvel
musique Armel Malonga
vidéo Quentin Vigier
caméra au plateau Claire Willemann
costumes Clément Vachelard
éducation des oiseaux Tristan Plot 
animalière chien Bogart Valérie Chavanon-Cinéanimal. 
dramaturgie, assistanat à la mise en scène Marie Fortuit, Marion Platevoet, Baudouin Woehl.
conseil dramaturgique diversité et politiques de représentation Noémi Michel.

Absalon, Absalon ! de William Faulkner, traduction René-Noël Raimbault, Gallimard, L’Imaginaire, 2000


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