Critique Fils de bâtard
mise en scène Emmanuel De Candido et Olivier Lenel

A La Manufacture, avec Fils de bâtard, Emmanuel De Candido signe un moment de théâtre d’une intensité rare, où l’intime se fond dans l’universel, et où les fragilités humaines deviennent puissance de récit. Pendant près de deux heures, l’artiste offre une performance vibrante et habitée, à la fois récit, incarnation et transmission. Un geste scénique d’une générosité saisissante, dont on ressort bouleversé.
Fils de bâtard : « un pari fou avec la vie »
« Si tu pouvais recommencer un instant de ton existence, un seul, pour transformer ta vie, est-ce que tu sais quel instant tu choisirais ? » C’est sur cette vertigineuse question que s’ouvre Fils de bâtard , spectacle à la fois intime et universel, écrit et interprété par Emmanuel De Candido. À travers un récit personnel tissé d’histoires fragmentées et d’enquêtes croisées, l’artiste retrace la trajectoire d’un fils en quête d’un père quasi fantôme. Trois cartes géographiques pour seul héritage, Congo, Antarctique, Libye, et une mère restée dans l’ombre comme une héroïne silencieuse.
Au fil d’un récit qui échappe aux codes, Emmanuel De Candido bouscule les frontières du théâtre documentaire. Il mêle narration, musique live, slam, mime et performance pour composer une fresque vivante, pleine de ruptures et de rebondissements. Dans un espace blanc, quasi nu, une épopée tendre et passionnante prend place. La mise en scène, sobre mais ingénieuse, signée avec Olivier Lenel et Emmanuel de Candido amplifie chaque émotion avec délicatesse. Aux côtés du comédien, la présence lumineuse d’Orphise Labarbe à la guitare et la précision technique de Clément Papin apportent une pulsation organique à cette odyssée de la mémoire.
Oratorio profane pour une mère aimante
Derrière la quête du père, c’est le portrait d’une mère qui surgit peu à peu, bouleversant de simplicité et de grandeur discrète. Cette femme, pilier invisible, donne toute sa densité émotionnelle au spectacle. Emmanuel De Candido célèbre sans pathos cette maternité tenace, en creux, en silence, et c’est là que le théâtre devient un hommage vibrant à celles que l’histoire oublie trop souvent. Grand moment où, par le mime, le fils donne à voir l’accompagnement sans faille de sa mère auprès de lui. Un ballon rouge retenu à un fil qui imperceptiblement s’allonge, une table en formica, suffisent à rendre visible la vie qui passe, l’attachement, la tendresse. Jusqu’à la mort de celle qui a aimé.
L’émotion saisit le spectateur quand le comédien revient à la question qui ouvre le spectacle. « Si tu pouvais recommencer un instant de ta vie, lequel choisirais-tu ? Vient le moment pour lui de choisir, de livrer devant nos yeux ce moment regretté, d’affronter une culpabilité douloureuse. « J’ai foiré son euthanasie » déclare-t-il frontalement.
Alors, par la magie du théâtre et de sa volonté d’artiste, Emmanuel De Candido réinvente une autre fin. « Ce soir, c’est le grand soir » dit-il. Il convoque alors toutes les figures fraternelles, les anonymes et les familières. Les accords de la guitare comme les battements du synthétiseur résonnent rythmant ses mots dans cet oratorio profane. La cendre lancée en fond de scène se transforme en paillettes d’or. Et puisqu’il fallait mourir, « besognia morire » , autant que ce soit, cette fois, en musique, au cœur de l’assemblée théâtrale, dans ce partage doux et lumineux d’une fin d’après-midi.
Fils de bâtard est un moment de théâtre rare, magnifiquement incarné, où l’intime rencontre l’universel, où les failles deviennent force. Pendant près de deux heures, Emmanuel De Candido livre une performance habitée, généreuse, essentielle. Il conte, vibre, transmet. Et l’on sort, remué et reconnaissant de ce qui apparait comme un don.
Les M de M La Scène : MMMMM
Applaudissements après la représentation le 10 juillet 2025 à la Manufacture hors les murs, Festival Off d'Avignon
Fils de bâtard
Conception et interprétation Emmanuel De Candido.
Complices de scène Orphise Labarbe et Clément Papin.
Co-mise en scène Emmanuel De Candido et Olivier Lenel.
Création musicale François Sauveur et Pierre Constant.
Scénographie Sarah De Battice.
Soutien dramaturgique Stéphanie Mangez et Caroline Godart.
Costumes et accessoires Cinzia Derom et Patrick Gautron.
Mouvement Jean Pavageau.
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