Critique Article 353 du code pénal

mise en scène Emmanuel Noblet

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article 353 du Code pénal
© Jean-Louis Fernandez

Au 11 Avignon, Article 353 du Code pénal déploie une parole longtemps tue, celle d’un homme ordinaire poussé au crime par l’engrenage implacable des humiliations sociales. Emmanuel Noblet orchestre, avec une rigueur saisissante, cette confession poignante. Vincent Garanger, magistral, bouleverse.

Article 353 du code pénal : La parole digne

C’est un huis clos d’une rare intensité qui se joue sur le plateau du 11 Avignon. Article 353 du Code pénal est l’adaptation mise en scène par Emmanuel Noblet du roman de Tanguy Viel,. Ce presque monologue met en lumière une tragédie moderne qui se déploie dans la rade de Brest, où un homme, broyé par la machine sociale, finit par commettre un geste irréparable. Martial Kermeur, incarné avec une justesse bouleversante par Vincent Garanger, ne cherche ni excuses, ni absolution. Il parle, simplement, pour tenter de comprendre ce qui l’a conduit à pousser à la mer Antoine Lazenec, promoteur véreux et fossoyeur de ses derniers espoirs.

Sur scène, le décor se réduit à une fosse entourée de pierres. Le sol terreux est circonscrit par un petit mur rugueux, couvert d’une légère pellicule herbeuse. C’est dans cet espace scénographique austère conçu par Alain Lagarde, métaphore du chantier fantôme jamais achevé et d’une vie en jachère, que prend place le tête-à-tête intense entre le juge (Emmanuel Noblet) et l’accusé ( Vincent Garanger). Cette confrontation est cependant rythmée par des respirations. Des belles images d’un ailleurs sauvage et indompté, océan brumeux, côte battue par la mer, sont projetées en arrière fond.

Dans cette arène quasi nue, les mots deviennent matière. Ceux du romancier Tanguy Viel, portés par l’exceptionnel Vincent Garanger, vibrent avec une puissance organique. Chaque phrase semble arrachée à la glaise d’une vie faite de renoncements, de petites humiliations et d’injustices trop grandes pour être seulement dites. Le comédien porte ce texte comme un fardeau et une libération, sculptant magnifiquement avec lenteur et précision les contours d’une conscience en éveil.

Pour quelle justice ?

La force du spectacle réside dans cette exploration d’une parole empêchée qui, soudain, se fraie un chemin. Martial Kermeur n’est ni un héros, ni un monstre, mais un homme ordinaire poussé à bout. Son récit, loin du fait divers, devient fable politique. Ce n’est pas tant le meurtre qui est disséqué que le long chemin social, économique, moral, intime, qui y mène. La parole devient alors un acte de réappropriation, un geste de dignité.

Emmanuel Noblet choisit de se retirer presque totalement dans le rôle quasi muet du juge. Il donne toute la place au témoignage, comme un écho à cette disposition méconnue du droit pénal français, l’article 353, qui fait appel à l’intime conviction du juge. Cependant, imperceptiblement, pour qui sait regarder, le comédien ouvre des brèches dans sa froideur du début. L’homme de loi, à l’écoute de l’accusé, par des déplacements, d’infimes changements dans son costume, dévoile qu’il s’humanise.

Article 353 du Code pénal ne se contente pas de raconter une histoire poignante. Il interroge ce que nous entendons par justice. Peut-elle s’accommoder de l’injustice sociale ? Peut-on comprendre un crime sans le justifier ? En faisant de cette parole un spectacle, Emmanuel Noblet parvient à une forme de dépouillement saisissant. Un théâtre du récit où l’humain, dans toute sa complexité, reprend ses droits. Dans le regard de Kermeur, dans sa voix brisée mais droite, c’est toute une classe sociale que l’on entend, fatiguée de se taire.

Article 353 du Code pénal, mis en scène par Emmanuel Noblet, transcende le fait divers pour sonder, avec une justesse implacable, les failles d’une justice humaine confrontée à la violence sociale. Passionnant.

Les M de M La Scène : MMMMM


Article 353 du Code pénal

11 Avignon

Texte Tanguy Viel

Adaptation et mise en scène Emmanuel Noblet

Avec Vincent Garanger et Emmanuel Noblet

Scénographie: Alain Lagarde

Lumières Vyara Stefanova

Son Sébastien Trouvé

Vidéo Pierre Martin-Oriol

Costumes Noé Quilichini

Régie générale et lumières Anne Terrasse et Xavier Libois


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