Critique Histoire d’un Cid

Mise en scène Jean Bellorini

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Histoire d'un Cid
© Christophe Raynaud de Lage

Au Théâtre des Amandiers de Nanterre, Jean Bellorini propose L’Histoire d’un Cid et transforme la célèbre tragi-comédie de Corneille en un terrain de jeu poétique, une aventure scénique où l’invention et l’imaginaire prennent le pouvoir. À la croisée du théâtre et du conte, cette variation lumineuse célèbre la magie artisanale du plateau et offre au public une échappée belle, entre enfance retrouvée et poésie partagée. Du très bel ouvrage !

Demeurer dans la rêverie

La scène s’ouvre sur un Cid méconnaissable, métamorphosé par l’imaginaire fertile de Jean Bellorini. Tout commence par un récit initié par une goutte de pluie. Un nuage poussé par une brise légère s’arrête au-dessus d’un voilier. Un petit jouet d’enfant, réplique en bois du bateau, trône en avant-scène. Les personnages, nous dit-on, embarqués à bord, vont essuyer une tempête. Tourmente intime, frappée de vague à l’âme, qui active la tragédie.

Cependant, à l’endroit où certains auraient pu attendre une pompe classique, surgit une fresque intime, façonnée avec la délicatesse d’un orfèvre du plateau. Loin de figer Pierre Corneille dans un mausolée de révérences, Jean Bellorini tire cet incontournable du XVIIe vers la lumière du présent, avec vivacité et parfois facétie. Dépouillée des apparats d’époque, grâce à la magnifique et inspirante scénographie imaginée par Véronique Chazal, la scène devient un terrain de songes.

Un large losange de tissu déployé au sol se transforme en un imposant matelas gonflable, bientôt surmonté d’un château aux tourelles de plastique. Le souffle épique paraît se propager aux éléments scéniques. Mais, parallèlement, ce royaume fragile que l’émotion domine peut s’affaisser à tout moment, laissant les personnages désorientés et vulnérables. Côtoyant cette structure instable, des objets, manipulés à vue, construisent un monde hétéroclite où tout semble possible. Une vierge à l’enfant, un lustre en cristal , un chariot à roulettes, un cheval à bascule, sont autant d’objets qui alimentent la fable. Chaque scène se construit comme une rêverie à la frontière du jeu et de la poésie.

Une traversée collective

Par ailleurs, Jean Bellorini recentre la pièce en un noyau incandescent. Comme les quatre points cardinaux du losange et de l’intrigue. Ce resserrement narratif donne au texte une intensité nouvelle. Rodrigue, Chimène, l’Infante et un père tout-puissant composent une partition tendue entre l’honneur et les élans du cœur. Le dilemme s’incarne avec une acuité troublante, tant il semble encore nôtre. La langue de Corneille, riche et fière, se laisse traverser par une vitalité ludique, toujours sensible.

Histoire d’un Cid prend la forme d’une traversée collective. Les comédiens (Cindy Almeida de Brito, François Deblock, Karyll Elgrichi, Federico Vanni) n’hésitent pas à jouer avec le public et sa culture littéraire. L’affrontement entre Don Diègue et le Comte est raconté et commenté à quatre voix. Plus tard, chacun est invité à se remémorer la célèbre tirade du père de Rodrigue « Ô rage. Ô désespoir » . Mais, si le rire prend le dessus lorsque Rodrigue la fait sienne, elle retrouve toute sa gravité quand son père la rejoue. Aucun moment phare de la pièce n’est évacué : stances de Rodrigue ou tirade à Don Fernand.

Un cœur battant sous l’armure des alexandrins

Les comédiens impressionnent par leur sincérité et partagent avec entrain leur bonheur de jouer. François Deblock dessine un Rodrigue, à la fois malicieux et touchant, loin des postures héroïques. Son jeu ne se départ pas d’une fougue juvénile. Cindy Almeida de Brito, à la diction parfaite, donne à Chimène une densité tranquille, mêlée de fierté et de lucidité. Federico Vanni, à vue, passe d’un personnage à l’autre avec une aisance teintée d’un humour doux-amer. Une petite écharpe souple de couleur lui suffit pour devenir Leonor. En costume, il campe avec honneur ou bonhommie la figure du père. Quant à Karyll Elgrichi, dans le rôle de l’Infante, c’est une révélation. La dignité et la vulnérabilité du personnage touche au plus haut point.

Accompagnés de deux musiciens présents sur scène, Clément Griffault aux claviers et Benoit Prisset aux percussions, les comédiens entrelacent le sublime à la facétie, l’alexandrin à la chanson de variété, la tragédie au cocasse. Cette alternance des registres – tragique, comique, musical – construit un espace à part, un peu flottant, où les codes classiques se mêlent à une forme plus libre, plus poreuse. Plutôt qu’une relecture radicale, Jean Bellorini propose un hommage vivant et ouvert, tout à fait séduisant. Le metteur en scène dévoile la jeunesse enfouie, un cœur battant sous l’armure des alexandrins.

Inventif, émouvant et follement libre, L’Histoire d’un Cid de Jean Bellorini réinvente Corneille avec une grâce ludique. Un hommage poétique et vibrant au pouvoir du théâtre.

Les LM de M La Scène : LMMMMM


Histoire d’un Cid

Théâtre des amandiers – Nanterre

Variation autour de la pièce du Cid Pierre Corneille

Adaptation collective du texte

Mise en scène Jean Bellorini

Avec Cindy Almeida de Brito, François Deblock, Karyll Elgrichi, Clément Griffault (claviers), Benoit Prisset (percussions), Federico Vanni

Collaboration artistique Mélodie-Amy Wallet

Scénographie Véronique Chazal

Lumière Jean Bellorini
assisté de Mathilde Foltier-Gueydan

Son Léo Rossi-Roth

Costumes Macha Makeïeff
assistée de Laura Garnier

Vidéo Marie Anglade

Construction des décors et réalisation des costumes Les ateliers du TNP


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