Critique pour un oui pour un non

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Pour un oui pour un non
© Raynaud Delage

Au Lucernaire, la mise en scène fine et enlevée de Sylvain Maurice permet de redécouvrir la pièce de Nathalie Sarraute, Pour un oui ou pour un non, sous un nouveau jour. Sans abandonner les ressorts psychologiques, la fraîcheur et le dynamisme de jeu des deux principaux interprètes séduisent au plus haut point.

Un grand oui

Pièce de langage, Pour un oui ou pour un non, est à l’origine une œuvre radiophonique. Elle incarne à merveille l’esthétique littéraire de Nathalie Sarraute héritée du Nouveau Roman. Ici, pas de personnages au sens traditionnel du terme : H1 et H2 ne sont que des voix, des figures mouvantes, incarnant une dynamique psychologique plutôt que des individus définis. Il s’agit pour l’autrice de déconstruire les stéréotypes du théâtre classique et d’explorer une réalité intérieure plus subtile. Ce qu’elle appelle les tropismes, ces mouvements imperceptibles qui influencent nos comportements.

Dans Pour un oui ou pour un non, la dramaturge capte l’indicible, l’implicite qui sous-tend une conversation en apparence banale. Le point de départ est simple. Deux amis d’enfance se parlent. H1 cherche à comprendre l’éloignement de H2. Le drame repose sur une simple phrase dont l’intonation transforme le sens. « C’est bien, ça« .  Anodine, elle se charge progressivement de multiples connotations jusqu’à devenir le cœur de l’intrigue. Sans véritable héros ni action, c’est la parole et son impact sur les personnages qui font toute la tension dramatique.

Comment porter une telle écriture à la scène ? Simone Benmussa en 1986, avait dirigé Jean-François Balmer et Sami Frey selon un principe d’indifférenciation des personnages. Les deux acteurs endossaient alternativement chaque rôle, sans distinction marquée. Sylvain Maurice fait le choix de l’incarnation. Chaque individualité prend corps et voix. Il confie à deux acteurs, Christophe Brault et Scali Delpeyrat, la partition subtile de Sarraute. Le quatuor original devient trio, Élodie Gandy prenant en charge les rôles de H3 et F, les voisins de H2, charger de « juger » le différent.

A mi mot

Dans la petite salle du Théâtre noir, le spectateur se trouve au plus prés des comédiens. Le décor minimaliste évoque les années 1970. Un panneau aux motifs géométriques orangés occupe le mur du fond. Le plateau est délimité par un tapis de sol clair. Un lampadaire d’appartement à l’abat-jour bleu s’allume parfois. Un banc massif blanc déplacé par les acteurs devient un des éléments majeurs qui rythment la scénographie, comme les lumières de Rodolphe Martin, qui poursuit ici encore, avec bonheur, son compagnonnage avec Sylvain Maurice. 

Portée par la complicité gourmande entre les deux comédiens, la mise en scène s’affranchît de tout intellectualisme froid. La capacité à faire entendre le texte de Nathalie Sarraute dans une fraîcheur toute nouvelle frappe et séduit. Ici, tout commence par des rires et finit par des rires. Même s’ils ont eu des mots, – et pas qu’un seul – , pour Sylvain Maurice l’amitié prime. À travers leurs échanges vifs et mordants, se dessine une amitié complexe, oscillant entre jalousie et rivalité, mais toujours empreinte d’une profonde humanité. Christophe Brault et Scali Delpeyrat, tous deux exceptionnels dans la joute oratoire qui les oppose, finissent, côte à côte sur le banc, saisis dans la même lueur bleue. Des notes de piano accompagnent ce moment de partage que le silence va bientôt nourrir.

Pour un oui pour un non est une invitation à écouter ce qui se cache derrière les apparences d’une dispute anodine, à savourer les affres de l’inconscient qui affleurent derrière le langage. Dans ce duel affûté où les mots fusent, Sylvain Maurice met en lumière une complicité qui transcende les tensions, faisant triompher l’humanité sur le conflit.

POUR UN OUI OU POUR UN NON

Lucernaire

22 janvier au 16 mars 2025

De Nathalie Sarraute
Mise en scène et scénographie Sylvain Maurice

Avec Christophe Brault, Scali Delpeyrat et Élodie Gandy
Lumières Rodolphe Martin
Son Jean De Almeida
Costumes Amélie Hagnerel
Production Compagnie Titre Provisoire
Coproduction Théâtre Montansier – Versailles
Avec la participation artistique du jeune théâtre national, la compagnie Titre Provisoire est conventionnée par le ministère de la culture – drac Bretagne.


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