Très librement inspirée des Mille et une nuits, la mise en scène de Guillaume Vincent, à l’Odéon, donne à voir les aspects cruels, scabreux et poétiques du conte mythique aux origines persanes.
« RaConter pour sauver sa vie »
L’ouverture est saisissante. Tandis que les spectateurs s’installent, sur le plateau, des jeunes filles en robe de mariée, assises, attendent dans une salle carrelée. Une musique lénifiante se diffuse et tranche avec la crainte que l’on perçoit. Soudain, une alarme sinistre retentit. Une lumière verte s’allume et les deux battants de la porte centrale s’ouvrent en fond de scène sur un escalier de marbre blanc. Une des épousées se lève et commence à gravir les marches. Elle lance un dernier regard vers nous, puis les portes se referment brutalement. Le cérémonial se répète, rythmé par le grésillement macabre des néons. Au fil des minutes, l’escalier blanc est maculé du sang de toutes celles qui l’ont emprunté.
La scène imaginée par Guillaume Vincent éclaire tout particulièrement la cruauté de l’argument qui ouvre le conte persan, Les Mille et une nuits. Le roi Shahryar a découvert l’adultère de son épouse. Humilié et furieux, pendant trois ans, le souverain décide d’épouser chaque jour une jeune fille vierge. Après la nuit de noces, au petit matin, son Vizir la décapite afin d’éviter toute trahison de la nouvelle mariée. La sauvagerie du roi sanguinaire épouvante. Pourtant, Shéhérazade, la propre fille du Vizir, se porte volontaire pour épouser le roi et arrêter sa folie meurtrière. Forte de son pouvoir de conteuse, pendant mille et une nuits, elle suspend le couteau qui doit lui trancher la gorge. Le roi, émerveillé par les récits extraordinaires que sa femme raconte, nuit après nuit, finit par lui accorder la vie et son amour.
La liberté du jeu
S’appuyant sur la traduction mordante et grivoise de Charles Mardrus, réalisée au début du XIXème siècle, Guillaume Vincent, aidé des comédiens qui, dit-il, « ont été partie prenante de la dramaturgie du spectacle », s’est amusé à bousculer l’univers du conte initial. Si l’on retrouve une douzaine de récits des Mille et une nuits, le spectacle rompt néanmoins avec un orientalisme daté. Les choix visuels sont volontairement iconoclastes. Reine en short fluo, esclave noir en robe et à talons, génie marionnette, démon à tête de souris satanique, bretonne sans mains, saâlik en costume, intervention d’Oum Kalthoum, à l’Olympia en 1967… Le metteur en scène parvient à mettre le spectateur, comme le roi, Shahryar, en situation, de surprise et d’attente. C’est sans doute sa plus grande réussite. La liberté de jeu et le plaisir de raconter en s’amusant priment.
Parmi les comédiens, il faut citer Emilie Incerti Formentini. Hiératique dans son incarnation d’Oum Kalthoum, son pouvoir comique est irrésistible dans le récit du deuxième saâlik. Puis, elle prête au personnage d’Aziza, sa vibrante sensibilité pleine de dignité. Malika Samba, qui lui donne la réplique, parvient à faire entendre les tourments d’Aziz, sa violence et son aveuglement. Le moment entre les deux comédiens est empreint d’une grande poésie. A la fin de cette scène, la verticalité, que permettait la scénographie, est utilisée. Il est dommage qu’elle n’ait pas été plus travaillée. Le spectateur aurait bien pris un peu de hauteur, à défaut de tapis volant.
Très librement inspirée des Mille et une nuits, la mise en scène de Guillaume Vincent, à l’Odéon, n’en demeure pas moins fidèle à la cruauté et la cocasserie qui traversent le conte persan aux nombreux récits. ♥♥♥♡♡
Les Mille et une nuits du 8 novembre au 8 décembre – Odéon 6e
- mise en scène Guillaume Vincent
- dramaturgie Marion Stoufflet
- scénographie François Gauthier-Lafaye
- lumière César Godefroy
- composition musicale Olivier Pasquet
- son Sarah Meunier-Schoenacker
- costumes Lucie Ben Dûavec
Avec : Alann Baillet, Florian Baron, Moustafa Benaïbout, Lucie Ben Dû, Hanaa Bouab, Andréa El Azan, Émilie Incerti Formentini, Florence Janas, Makita Samba, Kyoko Takenaka, Charles-Henri Wolff
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